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mots-nomades de Patrice Favaro - Page 51

  • Carnets de doute... 7

    Je rêvais d'Ailleurs.

    Voir enfin le Sud, l'autre hémisphère, franchir la ligne et basculer, plonger la tête dans les étoiles, elles jouent ici à tracer de nouvelles marelles, au-dessus d'océans infiniment plus bleus.

    Au fil des jours, au gré des mots et des contes, c'est une terre rouge, et rougie trop souvent, que j'ai arpentée durant trois mois, cette année-là.

    Je rêvais d'Ailleurs., et c'est ainsi que j'ai rencontré l'Autre.kanak.jpg

    Est venu alors le temps du tissage, celui que forme la plus belle et la plus riche des trames : celle qui conjugue fil noir, fil blanc, fil jaune. Une fois la confiance établie, simple passeur de parole que je suis, j'ai donc œuvré sur le même métier que lui, qu'elle. Toi l'autre.

    Et le motif s'est peu à peu dessiné sur le manou : un arc-en-ciel comme on n'en voit nulle part ailleurs qu'à Canala. Un arc-en-ciel du cœur, dans une case aux livres, entourés de bébés dévoreurs... de livres, de mots et d'images.

    Canala, Kanaky pour les uns, Calédonie pour les autres, 2003

    lino gravure "pin colonnaire (le masculin), cocotier (féminin)" de Françoise Malaval

     

    Article sur Reseda Ponga une de mes stagiaires en écriture à lire ici

    Article sur Situation de l'édition francophone pour la  jeunesse de Luc Pinhas,Michel Defourny à lire ici

    à lire aussi mes articles sur ce séjour publié par la revue Citrouille

    le poids des mots

    l'album est une passerelle

    Denis Pourawa

  • Carnets de doute... 6

    Les petites filles indiennes rêvent de robes de princesse, de princesses à la peau blanche uniquement. Une véritable épidémie. Les robes à manches ballons et à volants vaporeux débordent des boutiques jusque dans les rues des villes et des villages. A Trichy, dans le Tamil Nad, le Palais de le Robe en compte plus de 8000 : fierté du propriétaire. Cendrillon s'y perdrait sans doute en cherchant quoi se mettre pour aller au bal. Strass, pacotille, clinquant : ces robes tout en toc brillent de mille feux bien plus fascinants aux yeux des fillettes indiennes que les vrais fils d'or des saris que portent leurs mères.

    Trichy, Tamil Nad, Inde, 20062001324012.JPG

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    Françoise Malaval : gravure, pastel et collages

  • Carnets de doute... 5

    Parfois, ce sont les mots des autres que j'inscris sur mes carnets ou fixe dans mon oeil numérique. Fulgurances... ou ubuesqueries.

    Vu sur un mur dans le métro : « Ce sont les robots qui vous piquent le boulot, bande de cloches, pas les immigrés ! »

    Paris, station Bastille, 2007

    Rouleau-369---1.jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Saint-Paul-Trois Châteaux, Drôme, 2006

  • Carnets de doute... 4

    Autre lieux, autre ambiance... randonnée pédestre cette fois.


    Pour méditer en marchant : Si l'éléphant Esprit est lié complètement par la corde Attention, alors tout danger disparaît et tout bien est accessible. Shantideva, VIIème siècle

    Juste quelques pas sur la route du Cristillan. Des bourdons se gavent de suc au coeur d'un chardon : la douceur entre les épines. Il y d'autres fleurs sur le bord de la route, j'en ignore le nom. Peu à peu, nous devenons incapable de nommer avec précision ce qui nous entoure. On appelle plante, herbe, arbre, la multitude de végétaux qui poussent jusque dans notre propre jardin. Nous devenons des handicapés lexicaux. Le mal touche même les scientifiques, les disciplines liées aux classifications animales, végétales, minérales, sont de plus en plus boudées par les étudiants. C'est décidé, demain je me documente et commence les travaux pratiques.

    Le lendemain, un livre botanique sous le bras.Copie Rouleau 102 - 17.jpg

    J'identifie et dresse la liste de mes rencontres végétales et entomologiques. Du bas vers le haut: colchiques, succises des près, ombellifères, parnassies des marais (petites fleurs discrètes aux pétales d'ivoire), campanules, knauties des bois, osiers fleuris, jasiones des montagnes, boutons d'or,   centaurées alpestres, cirses lancéolés, marguerites, carlines acaules Pour les insectes : bousiers, fourmis rousses, bourdons, papillons azurés de la Burgrane, sphinx. En les nommant, je me les approprie  sans rien couper,  sans rien ôter, sans rien épingler. Parce que je marche en paix.

    à partir de Ceillac, Queyras, août 1998

     

  • Carnets de doute... 3

    Je continue à mettre en ligne des extraits de mes carnets de voyage, celui-ci a été publié sur le site de Citrouille.net

     

     

    Shanti

    Shanti habite tout à côté de chez nous. Une masure au toit de tôle. Sur le devant, un espace de terre battue où, l'année dernière encore, sa mère chauffait au soleil son dos voûté, tanné et frippé comme du parchemin. Aujourd'hui, le mince abri de palmes où dormait la vieille a disparu, elle est morte.


    Shanti est une intouchable, une paria, une harijân, une dalit.Kolam F.Malaval.jpg


    Insupportable litanie qui résonne à travers toute l'Inde, bien que depuis 1955 l'Acte sur l'intouchabilité est censé interdire toute discrimination basée sur la caste.

    Intouchable : le mot continue à porter son poids. Pour le brahmane orthodoxe, l'ombre même d'un intouchable demeure encore une souillure.

    Paria : celui qui bat le tambour pour les funérailles d'un défunt, une corvée qui incombe aux intouchables

    Harijân : « enfant de dieu », le nom donné par Gandhi aux intouchables lors de la fondation, en 1929, du premier mouvement censé abolir le concept d'intouchabilité.

    Dalit : le nom que les intouchables revendiquent eux-mêmes aujourd'hui. Le traduire ? Je n'ai pas trouvé mieux que : damnés de la terre.


    Sur le sol de terre battue, tous les matins, alors que le soleil se lève à peine, Shanti dessine un kolam - elle dit : rangooli. Kolam ou rangooli, c'est la même chose : un dessin, tracé avec de la poudre, qu'on effectue devant les maisons. Un signe auspicieux, un dessin de bienvenue. Le motif est différent chaque jour.

    Shanti prend un peu de poudre blanche - de la pierre calcaire- entre ses doigts et elle dispose une série de point de repères sur le sol. Puis, elle trace le motif en reliant les points entre eux, sans lever la main, d'un geste sûr, gracieux. Pour la grande fête de Pongal, elle utilise des poudres de couleur durant plusieurs jours. Dans un temps pas si lointain encore, les femmes indiennes se servaient pour leur kolams de poudre de riz : une offrande qu'elles laissaient aussi aux animaux minuscules, aux insectes affamés.


    Ce matin, Françoise a demandé à Shanti de lui montrer son carnet de kolams. Les motifs traditionnels se transmettent de mère en fille par ces carnets. Celui de Shanti contient des merveilles. Elle est habile, inventive : elle a un talent fou. Un talent qui n'a jamais eu d'autre place pour s'exprimer que ce misérable carré de terre nue et rouge devant sa porte.

    Françoise et Shanti sont restées longtemps ensemble, côte à côte, le crayon passant de la main de l'une à la main de l'autre. Je les ai regardées avec un brin de regret. Le dessin ne connaît pas de frontière, langage de l'œil et de la main, qui saute par-dessus la barrière des langues.

    Tandis que les mots que j'écris...


    Shanti, pas toujours intouchable.

    Shanti, qui ploie sous les coups de son mari.

    Un pêcheur, comme tant d'autres dans ce quartier coincé entre mer et rivière. Un homme sans âge, usé, brûlé. Tout le fruit de sa pêche est échangé directement chez le marchand d'alcool. Arak, raki, toddy : sous ces noms folkloriques se cache la plupart du temps un tord-boyaux frelaté qui rend fou, qui tue parfois parce que le trafiquant l'a allongé de méthanol ou même de pesticides.

    Combien ai-je entendu de visiteurs occidentaux s'étonner : « Les gens boivent en Inde ? Au pays de la spiritualité, mais vous plaisantez ! » Je ne plaisante pas. Le mauvais alcool coule à flots dans les assommoirs sordides de l'Inde entière. À Pondichéry bien plus qu'ailleurs. Allez-y voir.

    Et n'oubliez pas de regarder aussi à qui le crime profite.


    Le soir, le mari de Shanti rentre au logis, les mains vides. Il n'apporte rien d'autre que sa rage éthylique. Il brise tout ce qui peut l'être encore et cogne sur sa femme. Les voisins s'en mêlent, le ramènent au calme. Jusqu'à la prochaine tempête sous son crâne.

    Chaque matin, après avoir dessiné son kolam, Shanti s'en va jusqu'à Cuddalore, dans un bus bondé, à vingt-cinq kilomètres de là, pour acheter du poisson à des pêcheurs moins intoxiqués que son mari. Puis elle revient à Pondichéry pour le revendre avec un maigre bénéfice en passant de maison en maison. C'est en faisant cela qu'elle a réussi à élever ses deux fils, deux grands gaillards qui ont le même sourire éblouissant que leur mère.

    On se prend à rêver que tout cela va changer. Que les damnés de la terre, menés pas les femmes, secouent enfin leur joug et brisent leurs chaînes. Et il n'est peut-être pas si lointain le temps de cette mise en mouvement.

    Alors, parmi les étendards brandis par les dalits pour leur libération, on pourra voir, je le sais, un kolam de Shanti.

    Munrungapkkam ; banlieue de Pondichéry, janvier 2004

    illustration de Françoise Malaval : exposition Samadama


     

  • Carnets de doute... 2

    Rouleau-311---30.jpgEn route pour Baalbek, puis plus au nord encore vers Hermel, une bourgade au bord du fleuve Oronte. Pauvreté, tristesse. Camps de réfugiés, des Bédouins se sont fossilisés là: de l'errance à la désespérance. Nous roulons à travers un paysage sans aucune tendresse. Plus d'une fois à un carrefour, nous tombons sur des types en civil, des sales gueules, vraiment. Pas un signe, pas un geste, mais mon chauffeur de taxi s'arrête, il baisse la vitre. Les barbouzes venues de Syrie, le flingue glissé au milieu de la ceinture, comme un deuxième sexe toujours raide, nous examinent comme de simples cloportes qui seraient à portée d'un coup de talon, avant de nous laisser repartir sans avoir prononcé un mot.
    Glaçant.
    Liban, octobre 2004, plaine de la Bekaa

  • Carnets de doute...

    Pour 2010, j'ai décidé de trier un peu les les notes brèves, comme des aquarelles, prises au cours de mes pérégrinations ces dernières années. Elles sont pour la plupart inédites... et ce serait peut-être une idée de les rassembler pour un recueil. C'est à voir... Pour l'instant je les livre en exclu aux amis lecteurs de ce blog sous cette nouvelle rubrique: MES CARNETS DE DOUTE

     

    DSCN1848.jpgIl faudrait écrire un carnet de nuit, comme on fait des carnets de voyage. Les nuits dans le monde, les nuits dans la vie, les nuits qui marquent, les nuits de fête, les nuits de peur, les nuits qui n'en finissent pas, les nuits sans lune, les nuits claires comme le jour, etc.

    Pondichéry, une nuit durant la mousson d'hiver

     

    Aéroport de Tokyo : propre, lumière aseptisé, le Tokyo ga de Wim Wenders DSCN6392.jpgentraperçu un bref instant. Les escaliers mécaniques se dévident silencieusement, des ombres, des reflets de vitre à vitre, fantômes qui montent et qui redescendent, perdus, en transit. Et sur les toits, de désespérantes gifles de pluie.

    Aéroport de Tokyo Nairita, Une autre nuit, après 11 h 45 de vol