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Lettre à la ministre suite

Voici donc la version finale (merci à mes relecteurs attentifs!) de ma lettre de protestation concernant le dispositif spoliateur ReLIRE. Elle part demain à la première heure à destination de l'occupante actuelle du 3 de la rue de Valois.... oui, cet endroit où une certaine "Culture" prend ses aises sous les ors de la République.. ce qui fait que pas mal de ceux qui l'occupent se mettent à avoir la mémoire courte!


Patrice Favaro

 

À Madame Aurélie Filippetti

 

 

POÈTES, VOS PAPIERS !

Madame,

Contrairement à ce que j’avais pu espérer avec le changement de gouvernement et de majorité, je constate que vos services ont mis en œuvre l’application d’une loi voulue par votre prédécesseur au ministère de la Culture, loi votée par le Parlement à la toute fin du quinquennat de N. Sarkozy le 1er mars 2012 (loi n°2012-287).

Je m’élève ici contre ce que prétendent vos services, ceux de la BNF ainsi que ceux de la SGDL, à son propos. Non, cette loi ne fait pas qu’introduire « un aménagement de l'exercice du droit d'auteur ». Le dispositif de mise en application de cette loi, ReLIRE, (une graphie singeant les multinationales du Net qui en dit déjà long), ne propose rien d’autre que de dépouiller de manière institutionnelle les auteurs (ou leurs héritiers) du plus élémentaire de leurs droits : disposer comme ils l’entendent des œuvres qui ont cessé d’être commercialisées par un éditeur.

Il n’est ici nullement question de prendre parti pour ou contre la numérisation des œuvres appelées de façon indue « indisponibles » en lieu et place du terme « livre épuisé » (si elles ne se trouvent plus en vente chez les libraires, elles ne demeurent pas moins toujours disponibles en bibliothèque, ou dans les librairies d’ouvrages anciens.) Il s'agit de vous faire part de mon indignation quant à la façon dont la BNF s'apprête à le faire. Le plus élémentaire respect des lois de la propriété intellectuelle voudrait que la BNF ne puisse numériser un ouvrage pour le remettre dans le circuit marchand qu’avec l’accord explicite de l’auteur. Or, avec ReLIRE, le dispositif confié à la BNF sous l’égide de son directeur nommé sous le précédent quinquennat et dont vous venez de reconduire les fonctions, ce ne sera pourtant pas le cas. La numérisation d’une œuvre non commercialisée se fera de manière non contractuelle et selon des conditions sur lesquelles l’auteur n’aura nullement son mot à dire, pire : on ne l’en préviendra même pas à titre personnel. Là aussi, on bafoue les règles internationales en usage (convention de Berne), plus encore l’esprit de justice, ne parlons pas de simple morale.

Avec ReLIRE, l’auteur se voit imposer une numérisation forcée de ses titres publiées avant 2001 s’ils ne sont plus au catalogue d’un éditeur, il se voit imposer un organisme de gestion (la Sofia) qui négociera à sa place (et selon des modalités dont il ignore tout) le montant de ses droits à percevoir. Il ignore qui commercialisera son ou ses ouvrages numérisés par la BNF, dans quelle mesure son texte sera respecté et avec quelle qualité et sous quel format il sera présenté aux lecteurs. Il ignore également quelle sera la part que prélèvera pour ses frais l’organisme de gestion et combien cela grèvera le montant de ses rémunérations. Ce qu’il sait, par contre, c’est que l’éditeur de tel ou tel épuisé, et désormais dit indisponible, se verra crédité de la moitié des sommes obtenues alors que cet éditeur aura cessé de commercialiser l’édition papier et, compte tenu de la date de parution, qu’il n’en possède nullement les droits numériques. Joli cadeau fait aux éditeurs qui sacrifient au livre jetable et n’ont pas comme d’autres, bien plus respectables, une politique de d’ouvrages maintenu sur catalogue durant plusieurs années, voire des décennies. Ces derniers se verront d’ailleurs submergés par des ouvrages proposé par un organisme public ce qui concurrencera d’autant leurs parutions, qu’elles soient numérisés ou pas. Nul doute que les petits éditeurs ne s’en remettront guère.

J’imagine que vous souhaiterez m’opposer que ce dispositif a reçu l’assentiment des auteurs de la Société des Gens de Lettres, mais à mon tour de vous objecter que, d’une part, la SGDL ne représente que ses adhérents et non l’ensemble des auteurs (loin s’en faut) et que, de l’autre, on se demande quelle objectivité elle a compte tenu de ses liens privilégiés avec la Sofia.

Sans doute me répondrez-vous que rien ne m’oblige à accepter les dispositions mises en œuvre par ReLIRE puisque je peux sortir de ce dispositif et « refuser » que mes ouvrages soient numérisés par la BNF (via un prestataire privé? personne n’en dit rien) et commercialisés (par qui d’ailleurs ? la Sofia collectera les droits mais qui vendra les fichiers numériques, à quel prix, et comment cette commercialisation se fera, en privilégiant les « auteurs à succès » au détriment des autres ?) Je suis libre d’en sortir en manifestant mon refus donc, mais c’est bien là que se situe le trait le plus infâmant de ce dispositif. Premièrement, est-il normal qu’il incombe à l’auteur de vérifier sur le site ReLIRE (dans une liste non mise à jour, truffée d’erreurs et d’approximations, et achetée d’ailleurs à prix d’or) que la BNF se propose de numériser un ou plusieurs de ses ouvrages ? Tant pis pour ceux qui ne sont pas habitués à ce genre de consultation, les plus âgés ou démunis des auteurs en l’occurrence.

Mais nous n’avons pas encore touché le fond, voilà qu'il vient : d’après le dispositif mis en place, il va me falloir montrer mes papier à la BNF pour manifester mon refus ! Je dois prouver que je suis l’auteur de mes textes (le formulaire est même assorti de menaces envers tout éventuel contrevenant) et on me somme d’envoyer une photocopie de ma carte d’identité. Que je sache, les services de la BNF n’ont eu aucune peine à s’approprier ces mêmes textes sans avoir, eux, à fournir le moindre justificatif ! Quant aux ayants-droits, ils devront passer devant un notaire pour s’opposer à la numérisation forcée par la BNF des ouvrages dont ils sont les dépositaires. Un beau cadeau encore à nos enfants.

POÈTES VOS PAPIERS ! chantait Léo Ferré. Voilà donc à quelle extrémité ubuesque nous sommes rendus grâce au dispositif ReLIRE. Il m’est proprement insupportable qu’un organisme comme la BNF, chargé de la conservation de notre patrimoine littéraire, fasse montre d’un pareil mépris à l’égard des auteurs, ces mêmes auteurs sans qui elle n’aurait aucune raison d’exister. Voir un gouvernement de gauche pour lequel on s’est battu valider pareil mépris est plus affligeant encore.

J’ose espérer, Madame la ministre, que vous voudrez bien reconsidérer cette question de la numérisation à marche forcée après les légitimes motifs d’indignation que je vous exposés ici, tout comme le font de très nombreux camarades auteurs manifestant publiquement un identique ressentiment. J’espère que vous voudrez faire en sorte qu’une réelle concertation publique soit enfin ouverte avec l’ensemble des auteurs et de leurs représentants, et cela en toute indépendance et hors tout conflit d’intérêt.

Je vous fais grâce, Madame la ministre, au cas où vous décideriez de me répondre de vous réclamer vos papiers afin que je puisse n’avoir aucun doute quant à votre identité. C'est un procédé qui me semble suffisamment grossier et méprisant pour me refuser à vous l'appliquer.

Dans l'attente d'une réaction de votre part, recevez chère Madame la ministre, l’expression de ma très haute considération.

 

Patrice Favaro

9 avril 2013

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