Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Brouillon d'une lettre ouverte à madame le Ministre de la Culture

Voilà la version que je m'apprête à faire parvenir à Aurélie Filippetti dès mardi. Merci à Françoise, Thomas et Lucie pour leurs corrections et suggestions. Il n'est pas encore trop tard pour me communiquer d'autres avis!

POÈTES, VOS PAPIERS !

 

Madame la ministre de la Culture,

 

Contrairement à ce que j’avais pu espérer avec le changement de gouvernement et de majorité, je constate avec effarement la célérité avec laquelle vos services ont mis en œuvre l’application d’une loi voulue par votre prédécesseur au ministère de la Culture, loi votée en catimini par le Parlement à la toute fin du quinquennat de N. Sarkozy le 1er mars 2012 (loi n°2012-287).

Je m’élève ici contre ce que prétendent vos services, ceux de la BNF ainsi que ceux de la SGDL, à son propos. Non, cette loi ne fait pas qu’introduire « un aménagement de l'exercice du droit d'auteur ». Le dispositif de mise en application de cette loi, ReLire, (cette graphie singeant les entreprises américaines du Net en dit déjà long), ne propose rien d’autre que de dépouiller de manière institutionnelle les auteurs (ou leurs héritiers) du plus élémentaire de leurs droits : disposer comme ils l’entendent des œuvres qui ont cessé d’être commercialisées par un éditeur.

Il n’est ici nullement question de prendre parti pour ou contre la numérisation des œuvres appelées de façon indue : « indisponibles » (car si elles ne se trouvent plus en vente chez les libraires, elles ne demeurent pas moins toujours disponibles en bibliothèque, ou dans les librairies d’ouvrages anciens). Il s'agit ici de la façon dont la BNF s'apprête à le faire. Le plus élémentaire respect des lois de la propriété intellectuelle s’oppose à la volonté de numériser un ouvrage pour le remettre dans le circuit marchand sans l’accord explicite de l’auteur. Avec ReLire, le dispositif confié à la BNF dont vous venez de reconduire le précédent et très contesté directeur, ce sera pourtant le cas. La numérisation d’une œuvre non commercialisée se fera de manière non contractuelle et selon des conditions sur lesquelles l’auteur n’aura nullement son mot à dire. Là aussi, on bafoue la loi, plus encore l’esprit de justice, ne parlons pas de la simple morale.

Avec ReLire, l’auteur se voit imposer une numérisation forcée de ses titres publiées avant 2001 s’ils ne sont plus au catalogue d’un éditeur, il se voit imposer un organisme de gestion (la Sofia) qui négociera à sa place (et selon des modalités dont il ignore tout) le montant de ses droits à percevoir, il ignore qui commercialisera son ou ses ouvrages numérisés, dans quelle mesure son texte sera respecté et avec quelle qualité il sera présenté aux lecteurs. Il ignore également quelle sera la part que prélèvera pour ses frais l’organisme de gestion et donc de combien cela grèvera le montant de ses rémunérations. Ce qu’il sait, par contre, c’est que l’éditeur de tel ou tel ouvrage dit indisponible se verra crédité de la moitié des sommes obtenues par la vente de la version numérique alors que cet éditeur n’en aura plus aucun droit de cession faute de le commercialiser encore. Joli cadeau fait aux éditeurs qui sacrifient au livre jetable et n’ont pas comme d’autres, bien plus respectables, une politique de catalogue sur plusieurs années, voire sur des décennies.

J’imagine que vous souhaiterez opposer à mes arguments que ce dispositif a reçu l’assentiment des auteurs de la Société des Gens de Lettres, mais à mon tour de vous objecter que, d’une part, la SGDL ne représente que ses adhérents et non l’ensemble des auteurs (loin s’en faut) et que, de l’autre, on voit mal comment elle aurait pu être très regardante en la matière puisque la gestion du dispositif était destinée à tomber dans son escarcelle via la Sofia.

Sans doute me répondrez-vous que rien ne m’oblige à accepter les dispositions mises en œuvre par ReLire puisque je peux sortir de ce dispositif et « refuser » que mes ouvrages soient numérisés par la BNF (via un prestataire privé?) et commercialisés (par qui d’ailleurs ? la Sofia collectera les droits mais qui vendra les fichiers numériques, à quel prix, et à quelle sauce les lecteurs seront-ils mangés ?) « En sortir », me dites-vous, mais c’est bien là que se situe le trait le plus infâmant de ce dispositif. Premièrement, est-il normal qu’il incombe à l’auteur de vérifier sur le site ReLire (dans une liste non mise à jour, truffée d’erreurs et d’approximations) que la BNF se propose de numériser un ou plusieurs de ses ouvrages ? Tant pis pour ceux ne sont pas habitués à ce genre de consultation, les plus âgés ou démunis des auteurs en l’occurrence.

Mais nous n’avons pas encore touché le fond, voilà qu'il vient : d’après le dispositif mis en place, il va me falloir montrer mes papier à la BNF pour manifester mon refus ! Sous je ne sais quel motif de suspicion, je dois prouver que je suis l’auteur de mes textes et vous envoyer une photocopie de ma carte d’identité. Quant aux ayants-droits, eux, ils devront passer devant un notaire pour s’opposer à la numérisation forcée par la BNF des ouvrages dont ils sont les dépositaires.

POÈTES VOS PAPIERS ! chantait Léo Ferré. Voilà donc à quelle extrémité ubuesque nous sommes rendus grâce au dispositif ReLire. Jamais je n’aurais imaginé qu’un organisme comme la BNF, chargé de la conservation de notre patrimoine littéraire, fasse montre d’un pareil mépris à l’égard des auteurs, ces mêmes auteurs sans qui elle n’aurait aucune raison d’exister. Jamais je n’aurais imaginé voir un gouvernement de gauche valider pareil mépris.

 

J’ose espérer, Madame la ministre de la Culture, que vous voudrez bien reconsidérer cette question de la numérisation forcée après les légitimes motifs d’indignation que j’ai exprimés ici, mes camarades auteurs étant de plus en plus nombreux à manifester un identique ressentiment. J’espère que vous voudrez faire en sorte qu’une réelle concertation publique soit enfin ouverte avec l’ensemble des auteurs, et cela en toute indépendance et hors conflit d’intérêt.

 

Je vous fais grâce, Madame la ministre, au cas où vous décideriez de me répondre de vous réclamer vos papiers afin que je puisse n’avoir aucun doute quant à votre identité. C'est un procédé qui me semble suffisamment grossier et méprisant pour me refuser à vous l'appliquer.

Dans l'attente d'une réaction de votre part, recevez chère Madame la ministre, l’expression de ma très haute considération.

 

Patrice Favaro, écrivain

31 mars 2012

Les commentaires sont fermés.