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Jour de lassitude

 Il est des jours qui pèsent plus que d’autres. Fatigue, usure, mais plus encore « affligement », pardon pour ce néologisme, mais je ne peux imaginer un mot plus juste. Oui, je suis affligé de voir les valeurs que je défends mises à mal chaque jour par le psychotique élyséen, dont les discours aux relents haineux, débordant de mépris, sont entonnés et amplifiés par une horde de laquais dont l’énergie redouble à l’idée qu’il pourraient perdre leurs miettes du gâteau, par des médias serviles et achetés, et enfin par des microcéphales consentant à mettre eux-mêmes la tête sur le billot, celui que leur tend le boucher en leur faisant les yeux doux.

Affligé par tout cela mais pas seulement… Affligé aussi par une littérature de jeunesse où (à quelques rares exceptions comme chez Magnier, Actes Sud, Vents d’Ailleurs et quelques rares maisons d’édition encore) l’on s’en tient au rôle du joueur de flute de Hamelin. Noyés les enfants qui écoutent la musique sirupeuse, endormante,des marchands de livres… noyés sous une cascade de bouquins ineptes, prétenduement positifs, faussement optimistes… divertissants… Le mots est affreux : divertissement… Le dictionnaire historique du français d’Alain Rey nous dit : 1494, au sens propre, action de détourner de l’argent ou des biens au profit de quelqu’un. La belle littérature de « divertissement » que nous offrent les Muchamore, les Stephenie Meyer, la «shit lit » (le détournement orthographique est volontaire !), les marchands de « vampireries », de « dragonneries » et de fantasy dont les héros pourfendeurs défendent les valeurs d’une « civilisation supérieure à d'autres » à grands coups barbares d’épée dans la gueule…

Noyés sous ce flot incessant de pages anesthésiantes, prétexe à lobotomie, qui sortent des rotatives, ces étalages de couvertures qui clignotent pour mieux hypnotiser le client, oui, noyés les bouquins des amis Philippe Godard, de Jean-Yves Loude, ceux de Françoise Malaval, et les miens tout autant. Tellement noyés… que les libraires spécialisés jeunesse du réseau Sorcières… oui, oui, les "spécialistes", n’ont jamais eu le temps en dix-sept années de chroniquer un seul de mes bouquins (il y en a eu une bonne trentaine pourtant!) dans leur publication papier ou sur le Web…

Alors, durant ces jours d’affligement, je repense à une scène vue au salon du livre de Paris, il y a trois ou quatre ans. Derrière sa table, sur le stand des éditions de l’Olivier, John Berger, oui, le grand Berger, l’un des auteurs contemporains que je respecte le plus, un de ceux qu’on ne voit jamais frétiller de l’égo sur un plateau de télé, un de ceux qui regardent le monde avec acuité tout en se tenant à l’écart, comme Hubert Mingarelli (qui a fini par déserter pour les mêmes raisons l’écriture pour la jeunesse)… John Berger donc, devant qui les « lecteurs » du salon de Paris déambulaient sans s’arrêter, John Berger qui, malgré l’heure qui passait, n’avait pas encore dédicacé un seul de ses bouquins…

Oui je repense à cette scène et je me sens moins seul…

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