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Feuilleton de l’été épisode 5 : questions de style

Je n’ai jamais eu beaucoup de sympathie pour Flaubert, pour le réactionnaire qui écrivit que le suffrage universel est « une honte de l’esprit humain ». En dehors de Bouvard et Pécuchet, jamais eu non plus de plaisir à le lire, Salammbô est pour moi le comble de l’amphigourisme.  Alors, pourquoi en parler ici ? Outre le fait que je viens de me mettre à dos une foule d’idolâtres stendhaliens, je sais bien que tout le monde se fiche de savoir ce qu’un modeste auteur comme moi peut penser d’un tel « géant ». Alors quoi ? C’est qu’avec Flaubert se pose l’inévitable question du style en matière de littérature.

L’écrivain est libre, selon les exigences de son style, d’accepter ou de rejeter les prescriptions grammaticales qui régissent la langue française et les seules lois auxquelles il faut se soumettre sont les lois de l’harmonie. »

On ne peut que souscrire à cette ambition, dans un premier temps, car à y regarder de plus près, on peut deviner, me semble-t-il que déjà le vers est dans le fruit. Le vers, avec ou sans jeu de mots, c’est au choix. Oui, cette corruption de la littérature, à mon sens, qu’est le style pour le style. La recherche de l’harmonie, outre le fait qu’elle soit toute subjective, peut aussi se substituer au sens, voire même en tenir lieu. C’est ce que je perçois dans beaucoup de livres contemporains où ce qui devient admirable n’est plus l’art de l’écrivain à nous faire partager sa propre vision et ses interrogations portées sur le monde mais sa capacité à éblouir la galerie par quelque prouesse stylistique et plus encore par son aptitude à user de concepts inédits en ce domaine. Le résultat ? Une littérature de petits malins. Une littérature qui relève avant tout des procédés propres à la pub et à la com' : surprendre, voire choquer,  érotiser à outrance, abuser de la pensée-slogan, simplifier le fond à l'extrême pour mieux mettre la forme en avant. Une coquille vide.

Des noms? S'il ne vous en vient aucun, c'est que vous avez banni de votre paysage les plateaux télés dits littéraires!

J'oppose à cette "tendance", une ambition que j'ai toujours faite mienne (et dont je paie le prix fort question tirage de mes bouquins!), celle que l'éditorialiste anarchiste Zo d'Axa définissait ainsi:

"le livre au lieu d'être un instrument de corruption et de ramollissement cérébral (devrait être) une oeuvre d'affranchissement intellectuel"


Concrètement, comment cela se manifeste-t-il? Par ce que j'appelle le style invisible, eh oui, je le revendique, il s'agit bien d'un style, j'en veux pour preuve les heures passées à peaufiner la moindre phrase, à choisir le moindre mot. Mais une écriture qui ne cherche pas à faire la roue comme chez ces écrivains-paons si nombreux, une écriture qui ne s'évertue pas à démontrer au monde combien elle est originale et  insolente (concept à la mode). Non, je veux un style souterrain, et une écriture dont tous les "sens" sont tournés vers le dehors, une écriture qui reconnaît son cousinage dans la "littérature monde" telle que l'ont définie et promue Michel Le Bris, Bouvier, Pestelli, Chatwin, Londres, Segalen ou encore un des plus grands stylistes de ce siècle qui, lui, n'a jamais perdu de vue le fond et le sens: Le Clézio.

S'il me fallait donner une définition à ce que j'ambitionne en matière de style, il me faudrait emprunter à la bande dessinée, pour le faire. La ligne claire, chère à l'école belge, voilà ce qui me semble le plus proche de ce à quoi j'aspire. Et j'avoue que je savoure avec un plaisir malin  les avis des pseudo-critiques (ils sont légion en littérature pour la jeunesse) qui reprochent parfois à mes livres d'être écrits de façon assez "simple".


En ce moment donc, je "fais du style" une fois de plus en corrigeant et recorrigeant le manuscrit de mon prochain roman, Du sable entre tes doigts, à paraître  en octobre prochain aux éditions Le Musacadier dans la nouvelle collection jeunesse dirigée par Éric Denniel: Place du marché .

Et ça se passe comme ça.

 

Version 1

Cleveland, un matin de septembre 2011.

 J’aurais dû te le dire, te faire confiance. Manque de courage. Peur. Oui, peur qu’on se détourne de moi, peur d’être mis au rancart. C’était débile, bien sûr. Maintenant c’est moi qui te tourne le dos : je pars. T’apercevoir une dernière fois. Ta silhouette rapetisse à travers la lunette arrière du van. Tu me fais un signe de la main : levée, grande ouverte. L’autre est cachée, je sais ton poing serré à se faire mal. Pour masquer l’émotion. Pour ne pas qu’elle déborde, qu’elle te trahisse. Est-ce qu’on se reverra un jour ? Pas une chance sur un million que ça nous arrive, pas vrai ? J’abaisse la vitre, je me penche dehors pour regarder en arrière, le vent me fouette la nuque, je te crie de toutes mes forces : Adiós compañero !

 

Version 2

 

Cleveland, un matin de septembre 2011

 J’aurais dû te dire, avoir confiance. Manque de courage. Peur. Oui, peur d’être mis au rancart. J’ai été débile, bien sûr. Maintenant, c’est moi qui te tourne le dos : je pars. Ta silhouette rapetisse à travers la lunette arrière du van. J’abaisse la vitre, je me penche dehors pour regarder en arrière. Tu me fais un signe de la main : levée, grande ouverte. L’autre est cachée, je sais ton poing serré à faire mal. Garder l’émotion en-dedans. Faut pas qu’elle déborde, qu’elle nous trahisse. Est-ce qu’on se reverra un jour, Diego ? Une chance sur un million que ça nous arrive, pas vrai ? Je crie de toutes mes forces dans l’air qui me fouette le visage : Adiós compañero !

Et je me détourne pour regarder droit devant.



Et pour conclure cet épisode, question de style, le grand  Léo n'en manquait pas.



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