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Qu’ils crèvent les auteurs ! Autorisation de libre pillage.

Les coups qui visent à faire définitivement exploser les droits moraux et économiques des auteurs (au profit de l’ultralibéral « copyright », faut-il le rappeler) pleuvent ces derniers temps. Dernier coup de coup de couteau dans le dos et pas des moindres, celui que vient de lui porter unanimement l’Assemblée Nationale et le Sénat avec la bénédiction (complicité ?) de la BNF, du SNE et de la SGDL en votant la loi  relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle. (Texte définitif à lire ici)

De quoi s’agit-il ? Cette loi vise à rendre accessible sous forme numérique l’ensemble de la production littéraire française du XXème siècle dès lors que les œuvres ne sont plus exploitées commercialement. Elle prévoit que la BNF recensera dans une banque de données publique l’ensemble desdites œuvres dont l’exploitation sera gérée par une Société de perception et de répartition des droits (SRPD) qui assurera, de façon paritaire, une rémunération aux éditeurs et aux auteurs.

Officiellement comme l’a rappelé à la tribune un Frédéric Mitterrand (qui n’en est plus  à son coup d’essai) les élus entendent « démontrer que la diffusion des œuvres sur internet peut se faire sans exception au droit d'auteur et sans pratique de contrefaçon. »

Faux, totalement faux. Cette poudre aux yeux ne vise qu’à donner le change face au pillage généralisé mené par des entreprises comme Google Books. Le change pour dissimuler une totale impuissance face à ce type de multinationale. On prétend « cadrer » l’exploitation numérique des livres qui répondent à l’article  L. 134-1. – On entend par livre indisponible au sens du présent chapitre un livre publié en France avant le 1er janvier 2001 qui ne fait plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur et qui ne fait pas actuellement l’objet d’une publication sous une forme imprimée ou numérique.

En fait, on autorise tout simplement le libre pillage de ces mêmes œuvres en montant une usine à gaz qui n’aura jamais les moyens de fonctionner équitablement. Ainsi les apparences sont sauves du côté des élus et leur incompétente impuissance demeure masquée aux yeux du public, quant aux tenants du libre marché, ils s’en frottent les mains

On va donc permettre, après création d’une base de données par la BNF, la reproduction et sa représentation sous une forme numérique de tout livre répondant à la définition citée plus haut par une société de perception et de répartition des droits agréée à cet effet par le ministre chargé de la culture (art.  L. 134-3. – I) Ben, voyons !

Les auteurs pourront-ils s’y opposer ? Oui… mais en faisant une demande spécifique auprès de la BNF (on ne leur demandera donc jamais leur avis au préalable !) et uniquement pour la raison suivante :  L. 134-3. – l’auteur d’un livre indisponible peut s’opposer à l’exercice du droit de reproduction ou de représentation de ce livre s’il juge que la reproduction ou la représentation de ce livre est susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation.

Oui, vous avez bien lu, si vous n’êtes pas LF Céline et n’avez pas commis des monstruosités comme Bagatelle pour un massacre… eh, bien vous n’aurez rien à dire !

Voilà comment on entend enterrer une bonne fois pour toutes le droit moral d’un auteur (et je ne parle même pas ici du volet économique sur lequel je reviendrai). Un peu de pédagogie, voici comment se passaient les choses jusqu’à aujourd’hui :

- j’écris un texte qui se trouve être le fruit de mon seul travail

- un éditeur s’y intéresse et souhaite le publier

- je signe avec lui un contrat de cession qui l’autorise à exploiter ce texte sous forme de livre ou sur un autre support déterminé

- dès lors que cet éditeur n’exploite plus cette œuvre, c'est-à-dire qu’il ne peut répondre à la demande d’achat formulée par un client, et passé un délai (un à deux ans selon les clauses), l’auteur envoie une lettre recommandée  (ce qui est déjà une entorse au droit le plus élémentaires, mais bon, passons) et il récupère les droits de cession qu’il avait cédés à l’éditeur, étant donné que la propriété morale sur son œuvre n’a jamais été vendue puisqu’elle est censée être inaliénable.  En cas de réédition envisagée,  le processus que je viens de citer se remettra tout bonnement en route sur l’ensemble de tous les points.

Eh bien ! Aujourd’hui tout cela est terminé !  Tous mes textes qui ont été publiés avant le 1er janvier  2001 et qui ne sont plus au catalogue d’une maison d’édition… ne m’appartiennent plus. Du vol, du vol légalisé certes, mais du vol caractérisé. Pourquoi ?

1 Parce qu’il n’y aura tout bonnement plus besoin du moindre document contractuel pour republier un livre, l’avis de l’auteur à cette nouvelle publication (fut-elle numérique) ne lui sera pas même demandée. Je n’aurai donc plus aucune possibilité par exemple de voir mon ouvrage réédité sous forme papier, quel serait l’éditeur assez fou pour le faire ?

2 Parce que je n’ai pas la moindre idée des contreparties qui me seront accordées par une société de répartition dont je ne sais absolument rien !  J’ai cependant quelque raison de m’en inquiéter en entendant Bruno Racine, directeur de la BNF, expliquer sur France Inter que les œuvres choisies seraient commercialisées « à des prix très compétitifs, parce qu'ils seront uniquement vendus en numérique ».

3 Parce que je sais aussi que le dispositif sera si lourd qu’il deviendra vite obsolète (qu’on examine comment la SOFIA (qui gère pour partie les droits de prêts en bibliothèque) s’en tire et on aura une idée de la mission impossible.

3 Parce que cette société au profil indistinct (j’ai écrit profil… pas profit !)  va également à l’article L. 134-3 autoriser gratuitement les bibliothèques accessibles au public à reproduire et à diffuser sous forme numérique à leurs abonnés les livres indisponibles conservés dans leurs fonds dont aucun titulaire du droit de reproduction sous une forme imprimée n’a pu être trouvé dans un délai de dix ans à compter de la première autorisation d’exploitation.

Eh oui, enterré le délai de 50 ans ou de 70 ans ! Tous ceux qui se sont opposés au droit de prêt en bibliothèque tiennent enfin leur revanche.  Qu’ils crèvent les auteurs ! Calimaq, bibliothécaire et juriste  allant même jusqu’à prétendre que :  « … toute forme  d'accès gratuit à la culture dérange, fût-ce au nom de l'intérêt  général, et que l'exploitation commerciale est conçue comme l'alpha  et l'oméga en matière de droit d'auteur. Le droit à la culture, à la  connaissance et à l'information sont systématiquement balayés face à  la toute-puissance de la propriété intellectuelle, conçue comme un  dogme que rien ne doit entamer. » Rien que ça ! Mais pourquoi donc tant de haine?

Que se cache donc derrière tout ce prétendu dispositif de protection des auteurs, le baiser de la mort en vérité, et la vindicte à laquelle certains en appellent quand ces mêmes auteurs réclament le respect du droit durement acquis de rester maître de leurs œuvres et d’en tirer un minimum de rétribution comme c’est les cas pour tout secteur d’activité ?

Je ne  vois  malheureusement que trois explications. La première est que le concept de droit d’auteur gêne le libre marché sans contrainte. C’est un dispositif trop lourd et donc trop couteux à leur sens. Celui du copyright répond bien mieux à leur aspiration : tu écris, on te donne quelque chose et on ne te revoie plus jamais ! J’appelle cela le système Chuck Berry. Vous composez un des standards du rock, Johnny B Good, pour lequel une major vous a offert en guise de rétribution unique et définitive un billet de 50 dollars (accepté parce que vous étiez dans la dèche !).

L’autre raison de cette mise à mort qui ne suscite aucune forme de compassion ni d’empathie, tient à ‘idée que le public se fait d’un auteur. Pour ne voir sur les plateaux télé que ceux qui sont au faîte d’une quelconque gloire médiatique, qui ont des tirages mirobolants, des avaloirs houellebecquiens,  on s’imagine, hélas, que le quotidien d’un auteur est en tout point semblable à celui de JK Rowling… et de l’envie à la haine… il n’y a visiblement qu’un pas que d’aucun ont allègrement franchi.

La troisième tient au marché de dupes. Les tenants du tout accessible et du tout gratuit ne supportent plus l’idée d’avoir à payer des droits aux auteurs… mais ils ne s’offusquent jamais de payer à de prix ahurissants les appareils qui permettent d’y avoir accès. Ils vont même  camper devant la FNAC pour être les premiers à posséder ce genre d’objet dès sa sortie. Ils ne s’offusquent jamais non plus d’avoir à payer des fournisseurs d’accès dont les marges et les profits sont les plus colossaux de tous les temps. Non, que tout cela ne soit pas gratuit ne les dérage pas. Il est vrai que l’esclave chérit sa chaîne.

 

Premier ajout:

On peut consulter intégralemet le débat à l'Assemblée ici, il faut passer le début de la page web qui est consacré aux questions d'ordre général pour aller à directement à "Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle Discussion des articles."

Le fait que les auteurs soient totalement exclus du mécanisme législatif mis en place a été relevé plusieurs fois par un député, de la majorité pourtant, mais  chacune de ses observations a été balayé d'un revers de main par  F. Mitterand. Quant à la gauche, elle ne s'en est pas plus émue.

 

Cet article, écrit sous le coup d’une profonde indignation, nécessitera sans doute d’être précisé. Vu l’urgence de la situation, j’ai préféré le mettre en ligne ainsi. On m’excusera donc pour ses imperfections et les suggestions seront les bienvenues.

 

 

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