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Les vessies et les lanternes...chapitre 4

 POURQUOI J'ECRIS POUR...

Pour explorer plus en profondeur encore le sujet soulevé par la question : « Peut-il exister une littérature POUR la Jeunesse », il n'est pas inutile d’examiner ce que disent à ce propos certains des auteurs concernés.

Sur le site La littérature jeunesse à l’école (à découvrir ici), un questionnaire a été soumis à une douzaine d’auteurs et d’illustrateurs reconnus dans le domaine éditorial qui nous intéresse ici. Fort judicieusement, l’animateur du site fait débuter son tir de questions par la suivante «  Que signifie pour vous d’écrire pour la jeunesse ? »

L’examen des réponses fait apparaître très distinctement deux catégories d’intentions. La première est des plus inévitables dès lors qu’il s’agit de livres destinés à de jeunes lecteurs, elle a d’ailleurs non seulement marqué toute l’histoire de ce domaine littéraire mais on peut considérer qu’elle en est à l’origine même : « l’intention pédagogique »[1].

Voici ce que l’on trouve au gré des différentes réponses, je cite :

- Amener les enfants vers la vie, les aider à se construire

- Les aider à aller vers les auteurs classiques.

- Je suis aussi un humaniste et j’essaie de transmettre ces valeurs à travers les livres.

- Entretenir l’espoir de pouvoir leur offrir un livre sur lequel viendront se poser tous les autres

- Répondre à un problème rencontré par l’enfant ; divorce de ses parents, mort d’un proche, adoption…

On pourrait facilement croire qu’il s’agit là de déclarations d’intention dues à des enseignants et non celles d’auteurs entendant faire œuvre de littérature. Écrire pour la jeunesse serait donc une activité avant tout pédagogique, didactique, utilitaire, où l’auteur ne se livrerait à l’art de divertir le lecteur qu’à condition de lui transmettre des enseignements utiles… y compris en matière de psychologie. Cette vue ne date pas d’hier, c’est exactement ce que professait Jules Hetzel (l’éditeur de Jules Verne) : le pédagogisme d’une part et le produit de divertissement de l’autre, et ce dès 1864 en lançant son Magasin d’éducation et de récréation destiné à la lecture familiale et au titre hautement symbolique. On le voit rien de nouveau là-dedans, même s’il est incontestable qu’une « certaine » littérature puisse se manifester dans des œuvres de ce type. Mais on sait quelle difficulté elle a alors pour s’affranchir des lourdeurs de ce type d’intentionnalité. L’écriture de Jules Verne a des pesanteurs en la matière qui l’éloignent c'est le moins qu'on puisse dire des jeunes lecteurs d’aujourd’hui.

Le second principe d’intention répondant toujours à la même question se revendique, lui, comme essentiellement littéraire :

- Ca me permet d'avoir une écriture la plus directe et la moins intellectuelle possible.

- Je m'adresse directement à eux, sans autre intermédiaire 

- Écrire vraiment, sans chercher à flatter son lecteur ou à lui complaire.

- Ce n’est pas écrire en ayant sans cesse à l’esprit son lecteur.

- C’est d’abord écrire.

- Des prétextes à donner ma vision du monde.

On retrouve bien là certains critères énoncés par Isabelle Jan (voir chapitres précédents), et considérés par elle comme des marqueurs significatifs de « littérature ». Mais il me semble que se dessine à travers ces propos d’auteurs comme en creux une silhouette obsédante à leurs yeux : celle du jeune lecteur. Même quand ils se défendent de « penser trop souvent » à lui, quand ils revendiquent le fait de « s’adresser directement à lui sans autre intermédiaire », ils nous indiquent par là qu’ils accordent à leurs lecteurs une place particulière qui diffère de celle que peut avoir le lecteur pour un auteur qui s’adresse à son semblable.
Ce que je veux dire surtout par là, (je parle ici du roman dit "de jeunesse", l'album est un sujet à part sur ce point) c'est que même s'il prétend s'en garder, l'auteur qui écrit POUR la jeunesse ne peut faire l'économie de penser à celui pour qui il écrit quand il écrit. Prétendre le contraire me semble suspect parce qu'il y a au moins un moment où ce auteur se doit d'y penser: lorsqu'il envoie justement son manusctit à un éditeur spécialié jeunesse! Si ce n'était pas le cas... cela reviendrait à dire qu'il n'existe tout bonnement pas d'édition jeunesse : que tous les auteurs sont publiés chez des éditeurs de "littérature générale"... et que c'est dans leurs catalogues que les jeunes lecteurs trouvent leurs bonheurs de lecture. Une situation qui n'est d'ailleurs pas impossible, mon roman On ne meurt pas, on est tué, a connu un pareil destin (j'y reviendrai plus longuement), publié d'abord chez Denoël, puis "adopté et primé" par dejeunes lecteurs ce qui lui a valu de passer en poche chez Scripto-Gallimard Jeunesse. Mais c'est une éventualité assezrare, et, je le crains, plus encore aujourd"hui que par le passé.

 "Destiner son roman à un éditeur jeunesse", on me rétorquera que cela ne risque pas d’influer sur l’écriture, sur la vraie création littéraire, puisque ce choix  n'intervient qu'une fois l’œuvre achevée. Je l’ai longtemps cru, à tort. Pour deux raisons, la première est que cela ne se passe pas si souvent ainsi : en édition jeunesse, un auteur répond souvent à des commandes, à des collection ciblées, à des rencontres avec un éditeur qui lui propose de s'aventurer sur une piste ou une autre, le tout bien entendu pour des tranches d’âge plus ou moins clairement définies. Exit donc le « je ne pense pas à mon lecteur ». La seconde raison, c’est que même en dehors de toutes demande éditoriale, on sait bien qu’on a peu de chance de voir son texte publié s’il échappe à quelques règles de base dans ce domaine. La première, la plus prégnante, est celle de l’identification à travers l’âge du personnage. J’ai un manuscrit dont le héros et narrateur est un homme très âgé. Je n’ai pas trouvé preneur… Dans la note du comité de lecture d’une très grande maison ayant un département jeunesse incontournable, note au demeurant enthousiaste sur le texte et que m’a amicalement fait parvenir un des éditeurs de la dite maison, on s’interroge : à qui donc pourrait être destiné ce texte ? La réponse n’a pas dû paraître évidente… d’où un refus sans appel.

Autant bien se l'enfoncer dans la tête: le jeune lecteur n’est pas, ne sera jamais, un lecteur comme les autres. Il existe un fossé réel entre lui et l’auteur, celui qui sépare l'enfant ou l’adolescent de l’adulte. Je reviendrai sur ce lecteur pas comme les autres. Or, c’est ce fossé que je viens d'évoquer que, me semble-t-il, s’évertue à masquer un certain type de livres qui encombrent le plus souvent les librairies aujourd'hui. Pour quelle raison ? Parce qu’il s’agit désormais d’adapter le « produit » à son « consommateur ». On est loin de la littérature me direz vous… oui, mais sûrement pas d’une certaine conception de la « littérature pour la jeunesse » qu'a un nombre non négligeable d'éditeurs.

Je me propose de revenir là-dessus bientôt, car c’est bien à cet endroit qu’on cherche le plus à faire passer aux yeux de toute une génération de sacrées vessies pour des lanternes !

 

En attendant, il n'est pas interdit de réagir dans les commentaires!



[1] On pourra (si l’on veut !) lire mon essai : La littérature de voyage pour la jeunesse ou les enfants de Xénomane, éditions Thierry Magnier, 2009. Un chapitre entier est consacré à ce sujet.

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