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Carnets de doute... 8

Au hasard d'un carnet ouvert, mes toutes premières IMPRESSIONS de l'Inde non exemptes de clichés. C'était il y a près de vingt ans. Curieux vertige. Qu'il est long le chemin qui nous permet de déchirer le voile masquant nos yeux.

 

 

Arrivée à New Delhi, trois heures trente du matin. Atterrissage. Nuit noire.

Après avoir piétiné longtemps à la douane devant le contrôle des passeports, une première vision m'apparaît dès que je m'engage dans le sas qui conduit à l'extérieur de l'aéroport. Le corps appuyé ou plutôt collé le long des baies vitrées, des dizaines d'individus, tels des insectes attirés là par une lumière trop crue, forment une inquiétante ribambelle. Tous ont les yeux fixés sur les voyageurs qui progressent obstinément vers la sortie. Dans ces yeux, je lis comme une avidité non dissimulée Étranges étrangers, aux regards fiévreux, qui nous examinent encore plus intensément que nous n'osons les observer. Je me sens mal à l'aise dans cette sorte de bocal où nous avançons. Pour me donner une contenance, j'examine à mon tour ceux qui se pressent derrière la paroi de verre. Il y a là un étonnant résumé de tous les styles vestimentaires utilisés depuis l'antiquité par la population masculine : tuniques flottantes, pantalons, châles jetés sur les épaules et retombant en drapé, mais aussi haillons de toutes sortes. De nombreux hommes ne portent qu'une large pièce de coton, du blanc ou des carreaux madras, enroulée autour des reins et dont on passe ou pas un pan entre les jambes. D'autres, au contraire, sont vêtus du classique costume occidental de couleur sombre. Ils arborent néanmoins une barbe patriarcale qui prend racine sous des turbans aux couleurs insensées.

Dès la sortie, le voyageur je me sens en débarquant pour la première fois sur le sol indien. Choc. Un à un mes repères habituels s'évanouissent, se dissolvent. Rien ne ressemble à quoi que ce soit de connu, d'identifiable, de compréhensible. Les odeurs même me paraissent déroutantes. Ce sont bien ces parfums et remugles de l'Inde qui provoquent le plus sûrement en moi cette sensation de vertige, d'hébétude.


Taxi brinquebalant d'un autre âge. On roule, mal. Dans le faible faisceau des phares, l'Inde s'éveille. Stupeur : la vie grouille de toute part. Encombrements aux croisements, on manœuvre, des camions sont déchargés devant des hangars vétustes et croulants, on roule encore. Arrêt aux feux de signalisation qui ponctuent notre course nocturne. Un vendeur frappe à la vitre : il propose des couronnes d'oeillets d'Inde, cascades orangées surgies de l'obscurité, elles seront offertes tout à l'heure aux dieux, comme présent matinal. Un cadavre de mouton au ventre gonflé gît sur le bord de la chaussée; des vaches aux mamelles sèches et stériles vagabondent ; on klaxonne, elles s'ébrouent sans trop de hâte. Et toujours, partout, sans cesse, des grappes humaines, des hommes, des femmes, des enfants enroulés dans des châles, surgissant de l'ombre ou couchés sur le bord de la route, assis autour d'un brasero qui fume et rougeoie, en marche comme des somnambules vers des occupation incertaines, de vagues destinations. Tous tournent vers le véhicule leurs immenses yeux noirs que les lumières du taxi incendient.

Il fait encore nuit, une nuit que déchire à peine, par intermittence, les lampadaires de la chaussée à quatre voies sur laquelle nous roulons à présent. Cet éclairage maladif, anémique, porté par de longues tiges de métal usé dont les lampes donnent au paysage une teinte faiblement orangée. Comme celle d'un œillet fané.

New Delhi, automne 1991.


 

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